Dans la nuit du 19 juillet 2016, un homme de 24 ans, Adama Traoré, est tué par la flicaille lors d’une interpellation dans le Val d’Oise. Asphyxié par trois gendarmes, la version officielle parlera d’un « malaise cardiaque ». On ne compte plus les morts sous les coups des porcs en uniforme : abattus par des balles comme Medhi Bouhouta ou Amine Bentounsi, lynchés ou étranglés comme Hakim Aijimi, Wissam el Yamni, Houcine Bouras ou Abdelhak Goradia, tazés comme Loic Louise, tués par leurs « armes non létales » comme Rémi Fraisse. La liste de l’horreur policière est longue, trop longue. Chaque année des dizaines d’homicides de la police française, plus d’une centaine au cours des dix dernières années. La version officielle, bien sûr, est toujours la même : légitime défense des flics, cela même quand la victime est tuée d’une balle dans le dos ou lynchée par plusieurs flics armés. Quelque fois, très rarement, l’État reconnaît une « bavure », un « excès » d’un mauvais agent et sanctionne alors le « coupable ». Mais nous savons qu’il ne s’agit pas de bavures, que la violence de flics est quotidienne et systématique. Elle fait partie de son travail, elle est son travail. Nous le savons parce que nous connaissons cette violence, parce que nous la subissons, comme des milliers d’autres personnes autour de nous. Nous connaissons le harcèlement continu, les humiliations, les insultes, les tabassages, les yeux mutilés par leurs flash-balls, leurs coups de matraque dans le dos ou sur la tête. Nous savons que leurs homicides ne sont pas des « bavures » mais le produit de la normalité, de cette normalité.
C’est en effet une guerre quotidienne que l’État mène aux pauvres, aux migrants, aux enfants des colonisés, aux rebelles, à tous ceux qui – par leurs conditions de naissance ou par leurs choix – ne sont pas conformes à ses règles. C’est une guerre quotidienne qui est menée aux frontières comme dans la rue, dans les transports en commun comme sur les lieux de travail. La menace de la violence physique suit toujours celle de la violence économique : si tu ne travailles pas tu crèves de faim ou de froid, si tu te débrouilles sans travailler et si tu te rebelles contre les règles du jeu, on te tabasse et on te fout en taule… Une guerre quotidienne pour défendre un ordre qui est structuralement fondé sur l’oppression, l’inégalité, la domination du plus fort. Une guerre quotidienne où on t’apprend à obéir, trahir tes proches et servir le plus fort, baisser la tête et fermer ta gueule. Une guerre quotidienne menée aussi avec de nouvelles mesures pour intensifier l’exploitation, augmenter les heures de travail et rendre la main d’œuvre plus « flexible » ; des nouvelles lois « anti-terroristes » et des militaires partout ; des nouvelles technologies de contrôle et des caméras de surveillance quadrillant les rues ; des centaines d’expulsions locatives pour faire de la place à de grands projets de spéculation immobilière… Dans ce contexte, ce n’est pas étonnant que l’État annonce la construction de 33 nouvelles prisons, dont trois en Île-de-France parmi une première série de 9 « prioritaires ». Face à une masse toujours plus grande d’exclus et de marginaux, face aux conflits qui traversent le pays et à la galère dans les quartiers, le Pouvoir augmente ses capacités d’enfermement et de répression.
Mais les puissants et leurs chiens de garde n’arrivent pas à inculquer à tous et toutes la terreur, l’obéissance, la résignation, l’indifférence ou la dépression. Ici et là, chaque jour, les exploités, les exclus, les enfermés se révoltent contre la violence de cette société-prison. Le 3 juillet dans le quartier de Ménilmontant, une patrouille de GPIS (la milice de vigiles semi-publics des bailleurs HLM) est prise pour cible avec des pierres, des mortiers et un cocktail Molotov qui enflamme leur voiture. Suite à la mort d’Adama Traoré en juillet, plusieurs quartiers s’embrasent pendant quatre nuits. Dans le Val d’Oise, principalement à Beaumont-sur-Oise et à Persan, mais aussi à Champagne-sur-Oise et Berne-sur-Oise, des dizaines de véhicules et des bâtiments sont incendiés et les flics accourus sur place sont accueillis par des centaines de plombs tirés au fusil de chasse, des tirs de mortiers et des Molotovs. Le 26 juillet quatre-vingt détenus de la maison d’arrêt d’Osny (Val-d’Oise) refusent de quitter la cour de promenade après avoir mis le feu à des draps, en réaction au décès d’Adama Traoré. Cette mutinerie sera d’ailleurs suivie par une série d’autres révoltes dans plusieurs prisons françaises : le 7 septembre à Aiton (Savoie) face au refus de la justice de laisser sortir un détenu pour assister aux obsèques de son frère, des prisonniers refusent de regagner leurs cellules à l’issue de la promenade et détruisent les sanitaires de la cour ; le 12 septembre, dans la taule de Vivonne (Vienne), suite au refus de permission de sortie à un détenu, une cinquantaine de mutins prennent possession d’un étage, ouvrent les cellules et déclenchent plusieurs départs de feu, détruisant complètement une partie du bâtiment ; le 25 septembre à Valence, les détenus agressent des matons, leur prennent les clés pour ouvrir des cellules, cassent des caméras de vidéosurveillance, des vitres te de l’électroménager et incendient des matelas ; le 16 octobre encore à Aiton (Savoie), une trentaine de détenus ont déclenché un incendie, mettant hors usage 50 cellules.
Ces gestes démontrent que, malgré le contrôle et la violence quotidienne de la police, malgré les murs et les barreaux, malgré la menace du mitard, des liens de solidarité et de complicité continuent de se tisser. L’oppression partagée continue d’alimenter un désir commun de révolte et de liberté. Ainsi, la même haine de l’autorité unit dans le temps et dans l’espace des millions d’opprimés. Pendant les émeutes pour Adama et les mutineries en France, aux Etats-Unis des afro-américain(e)s répondent au feu de la police et des milliers de prisonniers entament une énorme grève et des mutineries contre l’esclavage carcéral. Un même sourire de joie apparaît sur nos visages quand on voit une colonne de fumée noire s’élever des braises ardentes d’une voiture de flic ou d’une prison qui crame.