À chaque gros «mouvement social» autour de la question du Travail, de la plume des journalistes aux interventions des gouvernants en passant par les «décryptages et analyses» des spécialistes, il semble que quelque colère sociale menace d’exploser à la gueule de ce monde…
Pourtant, les grèves sont permises par la loi, tant qu’elles sont inoffensives et restent dans les cadres définis par les syndicats. Et les manifestations sont prévues par (et pour) la démocratie. Autorisées et encadrées par les flics, et négociées avec les syndicats, elles permettent de s’adresser à « l’opinion publique» et à la bande de merde humaine qui nous tient démocratiquement en laisse, de canaliser mécontentement, colère, et tout sentiment de révolte. Et ce de la même manière que les récréations sont prévues dans les lieux d’enfermement scolaire (et les –autres– prisons) pour que les jeunes enfermé-e-s puissent se défouler afin qu’on puisse continuer à leur inculquer, des savoirs, peut-être (ceux qu’exigent le marché du Travail), la docilité et la soumission à l’autorité sûrement.
Nombre de celles et ceux qui appellent à «se mobiliser» nous alertent sur ce fait grave que en gros, avec l’adoption de cette loi, le code du Travail va servir à exploiter les salarié-e-s et non à les protéger, et que les patrons vont pouvoir (enfin?) s’en donner à cœur joie. Comme d’autres exploité-e-s et révolté-e-s, nous pensons toutefois que le plus important, ce à quoi il faudrait dédier toute notre attention et notre énergie n’est pas «l’issue du conflit», c’est-à-dire le retrait, le «rééquilibrage» (ce qui signifie en langage politico-technocratique une modification plus ou moins radicale) ou le «passage en force» avec l’article 49.3 de cette ÉNIÈME LOI.
Les galères pour payer un loyer, les peines pour trouver un boulot pas trop détestable, les échéances des factures, le temps perdu au travail à s’y éreinter, à s’y auto-réprimer, à faire le canard face au client ou à s’y ennuyer, la violence de devoir renoncer à ses rêves, ses passions et les gens qu’on aime parce qu’ici l’Économie n’a pas besoin de nous et qu’il faut chercher ailleurs, le cannibalisme social qui consiste à voir l’autre galérien-ne comme un-e concurrent-e, l’automutilation qui consiste à se renier afin de pouvoir être présentable car il faut «savoir se vendre», le sentiment écrasant d’absurdité, lorsque les médias nous informent d’un énième plan de licenciement, que cette saloperie d’Economie peut décréter du jour au lendemain que désormais ici ou là nous sommes superflu-e-s, toute cette réalité de l’exploitation et de la servitude moderne est déjà le terrorisme quotidien et banal frappant les pauvres, les sans-papiers, les (sous-) prolétaires et tou-te-s les exploité-e-s.
Et si tant d’entre nous vivent dans ces conditions, c’est parce qu’il s’agit là du produit du capitalisme, de la société du Travail, c’est-à-dire d’une société dont un des piliers sacré et intouchable est l’obligation fondamentale de devoir échanger notre temps, notre énergie, notre temps de vie contre un peu de quoi survivre. Sans que nous ayons décidé quoi que ce soit à ce prétendu contrat social, qui fait que certains empochent et accumulent à n’en plus savoir que faire quand d’autres n’ont rien, en crèvent ou doivent faire les poubelles, la manche, «voler» (aux grands Voleurs qui ont la loi de leur côté) ou se contenter d’acheter de la bouffe de merde premier prix.
Dans toute cette histoire, le code du Travail n’est pas tant le résultat victorieux des luttes ouvrières historiques qu’un compromis, des concessions accordées par le patronat, afin que, moins voracement mais sûrement, l’exploitation de celles et ceux qui n’ont que leur force de travail continue.
C’est pourquoi, contrairement aux réformistes de tout poil, nous ne souhaitons pas pour horizon travailler «tous, moins ou autrement». Non. Nous refusons de continuer à vivre dans un monde où choisir sa vie signifie se débattre entre l’exploitation quelle qu’elle soit (CDI, CDD, auto-entrepreunariat, service civique, etc.), le flicage administratif des aides sociales, l’ennui, la prison ou la mort.
Nous n’appelons pas non plus à on ne sait quelle union confusionniste et démagogique des «travailleurs» ou de «la jeunesse». Il y a plein de métiers et secteurs qui sont à divers degrés responsables de la domination et de l’exploitation et donc, le résultat d’un choix personnel : flics, vigiles, militaires, professionnels de la sécurité, concepteurs des technologies de surveillance et de contrôle, souvent en collaboration avec des universitaires, urbanistes, publicitaires, toutes ces entreprises (des grosses comme des petits sous-traitants) qui se font de l’argent sur la chasse aux sans-papiers, sur la spéculation immobilière, sur l’enfermement, tout le savoir-faire français dans le maintien de l’ordre, dans l’industrie des armes, du nucléaire (source de répugnante fierté pour les patriotards), toute la racaille des contrôleurs dans les transports en commun et des huissiers de justice, toutes ces sous-merdes de DRH qui nous remercient poliment pour nous dire qu’ils nous virent, etc. Souhaitons-nous lutter pour la protection de l’emploi de tous ces braves travailleurs qui «ne font que leur travail»? Certainement pas.
Si nous voulons un jour avoir de l’emprise sur nos vies, nous ne pouvons pas nous contenter de nous opposer à l’aggravation de nos conditions d’existence que représenterait l’adoption de cette loi comme on s’agripperait à un radeau de survie dans une mer secouée par la tempête.
Pour discuter de nos rêves de liberté et d’attaque de l’existant, l’un n’allant pas sans l’autre, déserter les syndicats (ces co-gestionnaires de l’exploitation capitaliste et fossoyeurs de révolte dont nulle compagnie de CRS n’atteindra jamais l’efficacité), journaflics, spécialistes et le terrain démocratique du dialogue avec l’Etat, bref rompre avec les logiques de ce monde et envoyer se faire voir nos ennemis, est une base primordiale. Prendre conscience qu’il n’y a pas que les flics qui sont des ennemis et que l’exploitation se matérialise par des bureaux, des véhicules, des adresses, des intérêts, des axes routiers et ferroviaires, des câbles et des dispositifs vulnérables, c’est-à-dire attaquables et déjà attaqués, un peu partout et de diverses manières (blocage, sabotage, saccage, pillage, manifs sauvages, etc), n’est pas moins vital.
Comme d’autres, ce «mouvement social» est appelé à mourir. Mais pourquoi, d’ici-là, ne se serait-il rien passé de surprenant et d’audacieux? Nous ne parlons bien sûr pas de «faire peur à l’Etat» en… comptant les masses indignées en rang dans les rues (ou en comptabilisant des «non merci!» en prêt-à-cliquer sur Internet pour celles et ceux dans l’air du temps). Non, nous parlons de tout autre chose, à savoir d’abord nous étonner (entre) nous-mêmes. Nous sommes peut-être chômeurs.euses, travailleurs.euses, salarié-e-s, retraité-e-s, jeunes, vieillard-e-s, sans-papiers, sans-diplômes, sans-toits, né-e-s ici ou ailleurs, issu-e-s de « quartier populaire » ou de «milieu aisé», indésirables, surnuméraires, superflu-e-s… Mais si, fatigué-e-s de nous considérer comme des victimes et des mendiant-e-s et épris-e-s de liberté, nous dépassons cela, victoire ou défaite du «mouvement social», peu importe. Car, D’AVOIR EU L’AUDACE D’AGIR EN REVOLTE-E-S, DES BOURGEONS POURRAIENT EN ECLORE, REGORGEANT DE DESIRS ARDEMMENT PRINTANIERS D’UNE AUTRE VIE, DE VRAIE LIBERTE…
…OU REVOLTE CONTRE LE VOL DE NOS VIES ?
p-s. Le seul code du Travail permettant de nous épanouir est celui en confettis et en flammes. Détruisons toutes les idoles !