Police et Justice, les deux faces d’une même médaille

Comme cela est déjà arrivé de si nombreuses fois, aux hasards de la médiatisation de certains comportements particulièrement violents des flics (alors que tant d’autres sont passés sous silence), après le viol de Théo à Aulnay-sous-Bois en février ou l’assassinat de Liu Shaoyao à Paris 19e en mars pour ne citer que les plus récents exemples, un scandale éclate et de nombreuses prises de position ont lieu, de la plus enragée à la plus pacificatrice, des rassemblements, affrontements avec les flics, attaques vengeresses en tout genre contre ces larbins du pouvoir, mais aussi revendications politiques dont une des plus répandues du côté de ceux qui s’indignent est de réclamer la « justice ».

Ce qu’ils entendent par là, c’est bien sûr le travail de l’institution judiciaire, a posteriori de l’événement, comme si condamner le mauvais élément procurait une sorte de compensation psychologique, ou de vengeance indirecte, en aucun cas de réparation, puisque dans tous les cas rien ne pourra effacer ce qui a été fait. Alors à quoi cela rime-t-il de demander après chaque affaire de « violences policières » une sorte de contrepartie punitive sans s’attaquer à la racine du problème, en laissant le système répressif intact et donc la possibilité que ces horreurs se reproduisent encore et encore dans le futur ? Sachant qu’attendre le travail de la justice signifie déléguer le problème, ne pas (ré)agir par soi-même et contenir sa rage au lieu d’attaquer directement à la racine ce qui nous révolte. Une bonne part de résignation donc, et la caution nécessaire au système qui nous dépossède de toute autonomie.

Certes, certains diront qu’en même temps de demander la « Justice », ils demandent aussi des mesures pour prévenir d’autres faits similaires : des flics moins armés, des contrôles systématiquement filmés, pour le système judiciaire la « tolérance zéro » envers les dites « bavures policières » (au lieu de « l’impunité ») qui dissuaderait les flics de se laisser aller à leurs pulsions sadiques… mais imaginez-vous que la police pourrait continuer son sale boulot, faire régner l’ordre, arrêter les contrevenants, faire respecter les lois (et se faire respecter elle-même donc en tant que représentante de ces lois) si elle ne pouvait pas elle-même dépasser les limites de ces lois pour faire face à la rébellion des réfractaires, se défendre et attaquer ceux qui se rebellent ? Et pour la Justice, ce serait enlever à ses petites mains les moyens de lui amener des gens à se mettre sous la dent. Justice et police marchent évidemment ensemble et ont intérêt à ne pas trop se tirer dans les pattes, et il est alors évidemment absurde de demander à la Justice de tenir en laisse ses chiens de chasse.

La violence physique, les divers moyens para-légaux de soumettre les récalcitrants, ce qui est couramment considéré comme les « bavures » policières, n’est que le travail normal et inévitable de la police et fait partie intégrante de son arsenal de guerre contre les réfractaires, pauvres et indésirables divers… Et il n’y a pas de police plus gentille, plus « juste » et proportionnée dans sa répression. C’est la milice du pouvoir, le bras armé de l’Etat, et son but est seulement d’être efficace sans générer de contestation supérieure à ce qu’elle pourrait contenir. De la même manière que la Justice est là pour faire fonctionner ce monde sans encombres et permettre aux puissants de continuer à régner puisqu’elle est à leur service, puisque c’est leur arme. S’en remettre à la Justice, c’est cautionner ce système de merde : le renforcer en lui laissant encore le soin de « s’améliorer », ou plutôt de se rendre plus acceptable par un maquillage de façade alors que l’injustice est de toute façon structurelle dans un monde où les rapports de pouvoir sont généralisés et institutionnalisés par un système complexe de hiérarchies et de catégories fictives (comme celles créées par le racisme, le sexisme…), par la délégation systématique de la résolution de nos problèmes quotidiens à des gouvernants, par l’aliénation de nos choix de vie comme de nos habitudes les plus anodines aux dynamiques de troupeau et à la résignation.

Police et Justice ne sont qu’une des facettes (la face répressive) de cet ordre des choses qui est lui-même une violence permanente, systémique, qui nous étouffe chaque jour, tous les matins quand on doit aller travailler ou mendier des miettes à la Caf, voir nos rêves d’enfants réduits à peau de chagrin face aux contraintes imposées par la société marchande et les normes sociales étriquées.

Pour quiconque déteste le monde qu’ils protègent, basé sur l’exploitation et la domination, la police et la Justice sont donc tous deux des ennemis irréductibles, et l’un ne peut nous servir à lutter contre l’autre. Contre tous ceux qui nous enchaînent, laissons éclater la révolte.

 

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