— Nous aurons un beau jour! me cria du fond de la voiture
mon compagnon de voyage.
— Oui, nous aurons un beau jour !
répéta tout bas mon cœur en adoration, et il tressaillit de peine
et de joie ; oui, ce sera un beau jour, le soleil de la liberté
réchauffera la terre plus joyeusement que toute cette aristocratie
d’étoiles nocturnes ; une nouvelle génération fleurira, engendrée
dans les embrassements de choix libres, et non plus sur une
couche de corvée et sous le contrôle de douaniers ecclésiastiques.
Avec une naissance libre, se produiront aussi dans les hommes
des pensées et des sentiments libres dont nous autres, esclaves-
nés, n’avons aucune prescience.
— Oh ! ils auront tant de
peine à imaginer combien était affreuse l’obscurité de la nuit
dans laquelle nous vivions, et quel horrible combat nous avions
à soutenir contre des spectres hideux, des hiboux stupides et
des criminels hypocrites ! Oh ! malheureux combattants que
nous sommes ! nous qui avons dû dépenser toute notre vie dans
un pareil combat, et qui restons fatigués et pâles quand brille
le jour de la victoire ! La flamme du soleil levant ne suffira pas
à rougir nos joues ni à réchauffer nos cœurs, il nous faut
mourir comme cette lune qui disparaît… Elle est si courte
pour l’homme, cette vie au bout de laquelle est l’inexorable
tombeau !
Extrait des Tableaux de voyage, Heinrich Heine, 1834