Ils voudraient que tout se passe dans le calme et l’ordre. Que le troupeau marche en groupe derrière le berger, que l’exploité accepte son salaire avec un sourire, obéissant et soumis jusqu’au jour où le patron décidera de s’en débarrasser ou jusqu’à ce qu’il soit emporté par un accident ou une maladie due à l’épuisement et à l’intoxication quotidienne à son poste de travail.
Huit, dix, douze heures quotidiennes de soumission et de fatigue, de névrose et de douleur pour payer son loyer et son prêt, l’assurance, l’électricité, le gaz, le téléphone, la télévision, internet, l’essence, la nourriture transgénique et cancérigène du supermarché, les drogues du samedi soir, le portable et les baskets dernier modèle, et peut-être aussi de belles petites vacances. Ils y pensent à la sécurité, eux. Des caméras toujours plus « intelligentes » et précises dans tous les coins de rue contrôlent les citoyens 24h/24. Des bandes d’hommes armés en uniformes, flics et militaires, écrasent chaque jour la masse des individus sans papiers, sans travail par choix ou inutiles pour le marché, rebelles et non conformes aux règles du jeu. Chaines bureaucratiques, matraquages et gaz lacrymogène, frontières infranchissables, barbelés et barreaux d’acier, humiliations constantes. Rien d’exceptionnel. Seulement l’horreur quotidienne nécessaire pour assurer la survie de tout Etat. La pire violence, la plus systématique et la plus technologique, la plus brutale et hypocrite, celle que la Loi exerce contre ceux qui sortent de ses rangs, celle que l’Etat emploie dans sa guerre contre les prolétaires et les rebelles.
Ce 18 mai 2016, flics et personnalités d’extrême droite se réunissaient place de la République, lieu qui était devenu à cette période un symbole de la contestation contre la fameuse Loi Travail, énième mesure pour intensifier l’exploitation capitaliste du bétail humain. La contestation sociale avait commencé à dépasser les limites de la légitimité établie par le pouvoir, ignorant les rappels à l’ordre et au calme des habituels politiciens et syndicalistes. Vitrines de banques et d’agences immobilières systématiquement défoncées, affrontements avec les flics, barricades improvisées dans les rues de Paris. Ce 18 mai 2016, le syndicat de police Alliance organisait un rassemblement contre la « haine anti-flics ». Ce 18 mai 2016, des centaines de personnes se retrouvaient autour de la place de la République, à crier haut et fort leur hostilité contre les uniformes, rappelant la longue liste des hommes et femmes tué(e)s par les forces de l’ordre françaises, les violences quotidiennes dans les quartiers, les mutilés dans les manifestations. Ce 18 mai 2016, sur le quai de Valmy, une voiture de flics est encerclée par les manifestants, ses vitres sont défoncées, un des agents malmené, et la voiture est incendiée grâce à un fumigène lancé à l’intérieur. Un grand feu de joie et de révolte, une image qui fait le tour du monde. Le message est clair, la police reçoit la haine qu’elle mérite.
La machine à broyer de la justice se met rapidement en branle. Il faut trouver les coupables de cet acte, semer la peur parmi les révoltés qui prenaient la rue depuis plusieurs semaines. On cherche à identifier toutes les personnes présentes, principalement à l’aide des nombreuses vidéos des habituels chacals à la recherche d’images spectaculaires, journalistes et reporters indépendants, employés à transformer la révolte en un spectacle à consommer devant un écran. Dans les semaines et les mois qui suivent, neuf personnes sont accusées de la destruction et de l’incendie de la voiture du Quai de Valmy. Quatre d’entre elles passeront un long moment en détention préventive avant le procès (16 mois pour la première à être identifiée et arrêtée, 8 mois pour la dernière) tandis que les autres seront sous contrôle judiciaire. Le procès en lui-même commence un an et demi après le bel incendie du quai de Valmy. Les spécialistes de la désinformation et de la manipulation, sur leurs télévisions, leurs radios et leurs journaux soumis au pouvoir, parlent du « procès des casseurs ». Les inculpés, quant à eux, n’ont pas tous les mêmes positions et ne choisissent pas la même ligne de défense. L’un d’eux cède au chantage du pouvoir, reconnaît les faits, s’excuse et affirme qu’il n’a aucun problème avec l’autorité et les forces de l’ordre. Un autre, profitant de l’attention médiatique autour de l’affaire, insiste sur son profil d’étudiant et de militant antifasciste, cherche et obtient l’appui des intellectuels et universitaires de prestige, invoque la persécution politique. Ces positions isolent et rendent encore plus compliquée la situation de ceux qui n’ont pas l’intention de s’excuser ou de chercher des justifications (du type « j’étais hors de moi ») ni de faire valoir leur propre légitimité à travers les critères du pouvoir (origine sociale, études, etc.) en cherchant l’appui de personnages et institutions qui ont de l’influence et du prestige dans la société. Deux compagnon-ne-s anarchistes, les deux qui étaient encore en détention provisoire au moment du procès et les seuls resté-e-s en prison après le procès, ont refusé de répondre aux questions du juge lors du procès, refusant de cette façon de participer au travail des enquêteurs, d’accepter la dichotomie innocents-coupables et d’endosser le rôle du citoyen soumis aux lois.
Le procès a lieu au tribunal sur l’île de la Cité, l’air est plein de la rage du public présent. Des dizaines de camions de gendarmes sont là pour rappeler la capacité de l’Etat d’utiliser une force écrasante. Les compagnons, amis et familles des inculpés sont fouillés, encerclés, entassés dans un enclos de barrières métalliques et contrôlés en permanence par les forces de l’ordre. Cela n’empêche pas les personnes présentes de crier leur hostilité envers les flics, les juges et les journalistes. Les cris et les slogans perturbent la tranquillité mortifère du tribunal. Le 11 octobre, le bourreau en toge lit le verdict : des condamnations allant de un an de prison avec sursis pour le seul fait d’avoir été présent près de la voiture à 7 ans de prison ferme pour celui qui est accusé d’avoir lancé le fumigène qui a embrasé la voiture. Une peine exemplaire, une peine pour décourager quiconque ose s’opposer au pouvoir pas seulement par des mots, mais en actes. Des jours, des semaines, des mois, des années de vie en cage pour avoir cassé une vitre de voiture. Mais même s’il est douloureux, le verdict ne nous étonne pas. Ce que le pouvoir veut punir, c’est l’offensive contre l’autorité. Ce qu’il veut anéantir c’est l’instinct vital de révolte des opprimés. Aucune injustice donc, mais la vengeance normale du pouvoir contre ceux qui l’ont défié. Aucune persécution politique, car le verdict n’aurait certainement pas été moins lourd si la voiture de flics avait été attaquée pendant une révolte dans les quartiers. Dans un cas comme dans l’autre ce que l’on veut empêcher c’est que le feu se propage, que se déchaîne un vent de liberté.
Pourtant, malgré tous les efforts des honnêtes gardiens des lois pour écraser les révoltés, le vent de la révolte continue de souffler. L’incarcération des auteurs présumés des faits du quai de Valmy a rendu encore plus déterminé-e-s celles et ceux qui ont à cœur la destruction de l’autorité et la fin de l’exploitation. Le soir du 11 octobre, le jour du verdict, une manifestation sauvage et furieuse se dirige de Ménilmontant vers les quartiers bourgeois du Marais (cf. «les bourgeois ont eu peur !»). Par ailleurs, cette année de nombreux gestes de révolte ont répondu à l’emprisonnement des révoltés du quai de Valmy, en France et ailleurs. Des banques, agences d’ingénieurs et d’architectes qui construisent des prisons et d’autres institutions qui collaborent à maintenir l’ordre ont vu leurs vitres partir en miettes. Des feux de rage ont été allumés un peu partout : comme le 18 avril de cette année quand un commissariat a été entièrement brûlé à Liège en Belgique, ou ce 23 avril quand cinq fourgons de police ont pris feu à Bruxelles. Comme l’incendie de nombreuses antennes relais, infrastructures fondamentales pour la société capitaliste, et de dizaines de voitures d’entreprises privées qui travaillent pour les prisons (Vinci, Eiffage, Cofely, JC Decaux…) ou d’autres entreprises qui exploitent et empoisonnent nos vies. Un feu qui s’est aussi propagé pendant les jours du procès, avec l’incendie de cinq véhicules de la gendarmerie à Limoges et l’incendie d’une antenne de gendarmerie entière (un dépôt avec plusieurs dizaines de véhicules et un laboratoire) à Grenoble. Un feu qui a continué à se propager même après le procès, avec les incendies de Clermont-Ferrand et Meylan (cf. « Eclats d’insoumission et de révolte »). Une longue série d’actions revendiquées sur internet faisant référence explicitement au procès du quai de Valmy, et particulièrement aux deux compagnons anarchistes en prison. Des feux qui nous réchauffent le cœur et rappellent à tous que malgré la paix sociale que le pouvoir voudrait imposer et la résignation du plus grand nombre, chacun-e a la possibilité de trouver les mots et les moyens nécessaires pour répondre à la violence des institutions et de l’économie.
* Extrait de la revendication de l’incendie de la caserne de Grenoble du 21/09 cf. Éclats d’insoumission et de révolte p.4.