Réflexions suite à la manif’ sauvage du 11 octobre appelée à Ménilmontant le soir du verdict pour les 9 inculpé-e-s pour la voiture de flics cramée quai de Valmy.
Les bourgeois ont eu peur, car cette fois, ce n’est pas pour aller leur servir le café oU leur petite liqueur, pour leur livrer leur repas ni pour nettoyer leur trottoir, que des pauvres sont allés faire un tour fracassant chez les riches.
On ne s’y est pas rendu comme on va dans un certain état d’abattement au Travail, à devoir rester docile, et bien à sa place aussi bien sur les lieux de l’exploitation que sur le trajet, ligotés par les chaînes des rapports sociaux dominants de ce monde. Non ! On n’est pas allé leur donner du « Monsieur, Madame », de la déférence, du sourire forcé qui accompagnent quasi-systématiquement la courbure de notre échine, notre énergie et le temps de notre vie qu’on leur sacrifie. Non, cette fois on n’a pas maugréé notre ressentiment dans notre barbe, on ne s’est pas dédoublé, ou plutôt désarticulé, en les abreuvant d’injures dans notre tête d’une part et en leur tendant la patte d’autre part, ni formulé en notre for intérieur des « la prochaine fois… ».
Ils étaient là tranquilles à siroter leur petit apéro, leur petite vinasse, avec cette quiétude, cette combinaison d’indolence et de vigueur propre aux riches et aux bourges, ces gens à qui il suffit de brandir leur portefeuille pour que leur désirs se réalisent – sur la sueur, la peine et la misère des autres. Ils savouraient les degrés encore généreux de l’été qui semblait vouloir persister, mais s’ils avaient consulté la météo sociale, peut-être qu’ils auraient appris que certaines personnes invoquaient la tempête, et que déjà des nuages avaient commencé à rouler, s’amonceler, et les foudres à s’abattre ici et là.
Nous avons vu l’habituelle promptitude de nombre de commerçants à abaisser leur rideau ou à verrouiller leur porte tout en assistant derrière leur vitrine, éberlués, inquiets, au passage retentissant de la manif. Les slogans exigeant la liberté pour les neuf inculpé-e-s, hostilesà la police, à la Justice et au capitalisme fusaient et retentissaient dans les rues, accompagnés par le bruit sourd des poubelles traînées et mises en travers pour bloquer la route aux flics, et de celui des vitres brisées et étoilées. Ainsi avançait cette nuée sombre qui arriva vers le quartier du Marais. La colère suite aux peines prononcées, la joie de se retrouver à plusieurs à prendre la rue, la détermination à ne pas laisser l’Etat foutre des gens en taule et condamner des actes et des idées de liberté sans rien faire, tout était là. Et l’ennemi « de classe », les bourges étaient là aussi, avec leur richesse et leur ordre nauséabond étalé dans les rues de leurs quartiers, scintillant sur la carrosserie de leurs voitures et sur les devantures de leurs boutiques.
Et tandis qu’on s’encourageait à avancer, qu’on scrutait le bleu des gyrophares, on continuait à gueuler d’autant plus fort que nous nous retrouvions dans un quartier clairement de bourges. Et alors on a entendu quelqu’un s’esclaffer et dire : « Hé ils ont peur ! ». En effet au fur et à mesure de notre déambulation nocturne, on voyait des gens proprets et cossus se lever de leur chaise et fuir dans la direction opposée, abandonnant ainsi précipitamment leur délicats mets. Je n’en croyais pas mes yeux. Devant moi, deux bourges s’étaient ainsi levés de leurs chaises et serrant fort leurs sacs contre elles, s’étaient mises à détaler, d’un pas assez burlesque. J’ai vu, à la lumière des spots des restaurants leur visage s’assombrir, une expression interdite s’y dessiner. On aurait dit qu’ils apercevaient des démons ou je ne sais quelle figure du Mal face à laquelle il n’y a pas lieu de discuter ou réfléchir, juste fuir.
Oui ! Les bourgeois ont eu peur ! Ils sont, même pour un bref moment, tombés du haut de leur arrogance faite de carrière, d’argent et autre prestige social. Ils se sont sentis vulnérables, ils ont perçu le long de leur échine qu’il y a des gens qui leur sont hostiles ; hostiles à elles et eux qui nous exploitent, qui s’en fichent qu’on vive dans des cages à poules, qui s’en fichent qu’on galère à payer les loyers, les factures, qui s’en fichent qu’on mange de la merde parce que le bio c’est cher, qui s’en fichent ou peut-être qui se satisfont quand on apprend que les flics en ont assassiné un énième ; ces bourges en faveur de qui tourne ce monde fait de flics, de prisons, de journaux au service du pouvoir et de caméras qui mènent la guerre à la moindre anormalité ou velléité de rébellion, à toute remise en cause profonde des rapports sociaux, à toute tentative de se frayer un chemin vers la liberté. Et c’est souvent bien parmi ces bourges même que se trouvent les dirigeants et employés plus ou moins impliqués dans la reproduction, la perpétuation et le développement de cette société.
« Ces gens qui effraient les bourgeois, ce sont des terroristes ! » Eh bien non, cher perroquet.
A l’heure où l’Etat condamne (ou cherche à le faire) des idées et des actes de rupture avec l’existant, à l’heure où, à travers ses serviles journalistes et dans des réunions entre scientifiques, experts, chercheurs et gradés de différents pays, il continue à travailler à amalgamer les sinistres djihadistes et tout un pêle-mêle bancal regroupant anarchistes, antifascistes, écologistes radicaux, autonomes, et autres « militants radicaux », cela sur fond d’intensification de l’exploitation, il est nécessaire de rappeler qu’il n’y a rien de plus absurde et antinomique que comparer des fous de Dieu qui tapent dans le tas et qui s’en prennent aux flics et militaires de l’Etat français pour imposer leur Etat, leur police, leurs écoles, leurs dogmes, leurs prisons, et aussi leur capitalisme, leur argent, etc., et celles et ceux qui ont depuis longtemps identifié la police comme un ennemi, un obstacle, une association de malfaiteurs, et qui en conséquence se battent pour la liberté, pour un monde tout à fait autre, basé sur la solidarité, l’entraide, la prise en compte de l’unicité de chacun-e, les sommets des montagnes, les cimes des arbres et les bords des falaises pour seules frontières. Non, il n’y a rien à voir entre ces deux visions du monde, qu’un abîme sépare. D’être « dogmatique » notamment accuse-t-on ces militants radicaux. Mais qui est-ce qui a envoyé des enfants au commissariat parce qu’ils avaient refusé de se taire à la minute de silence ou qu’ils avaient refusé d’être Charlie, tout en donnant des leçons nauséabondes de « vivre ensemble » et de « tolérance » ?
S’il y a similitude, c’est plutôt donc entre l’Etat (républicain, semi-monarchique, dictatorial, …) qui toujours, d’une manière ou d’une autre impose son ordre, soumet une bonne partie de sa population, gère son exploitation et l’Etat Islamique qui est, d’un point de vue antiautoritaire donc, un concurrent des Etats conventionnels.
De l’Europe occidentale au Moyen-Orient, sous drapeau républicain ou religieux, les bourges seront toujours des exploiteurs dont il faudra se débarrasser, et les voitures de flics seront toujours belles enflammées.