Il paraît clair que le but du système carcéral n’est pas seulement d’enfermer pour punir, pour se venger, ou d’éloigner plus ou moins momentanément certaines personnes du reste de la société : cet enfermement a pour but de remodeler (ou juste venir à bout de) la personnalité des détenus, de les dompter, les forcer par la peur et l’humiliation (et contraindre tous les autres par la menace de l’incarcération) à se soumettre aux règles de l’ordre social, comme le montre bien l’attention toujours croissante à la « réinsertion » des détenus : on veut que les prisonniers une fois sortis se mettent à travailler tous les matins comme tout le monde, faire leurs courses au supermarché comme tout le monde, entretenir leurs relations familiales, montrer leurs papiers quand on le leur demande, et si cette vie morne leur pèse trop, agrémenter leurs lundis matins et samedis soirs de drogues légales uniquement (alcool, anxiolytiques…).
Pour incorporer, avaler et digérer dans ce but ceux dont le comportement est indésirable pour la société, au lieu de les punir d’une simple exclusion, un traitement hypocrite et vicieux doit être élaboré par le pouvoir selon le vieux principe de la carotte et du bâton : enfermer plus ou moins de mois ou d’années, mais en maquillant la perfidie du châtiment en bienveillance : on propose généreusement d’aider à se racheter ceux qui accepteront de se soumettre à l’ordre, faire ce qu’on leur dit et accepter une vie étriquée en renonçant, même une fois sortis des murs en béton, à leur liberté en restant dans les murs invisibles des lois et du comportement social correct et docile.
D’une certaine manière, c’est comme si au lieu de jeter des humains dans la poubelle verte, on s’attelait à les « recycler » en bon citoyens, ce qui est plus pudiquement appelé la réinsertion. Or pour dompter les encagés, il faut d’abord leur faire accepter un peu mieux la réclusion, les calmer par des attentions sournoises présentées comme des cadeaux, leur « offrir dignité et humanité » (rien que ça !) (citations d’une brochure de l’APIJ, voir plus bas) par… quelques plantes égayant les cours de promenade, une douche en état de marche dans leur cellule, des bâtiments aux murs plus clairs pour le plaisir des yeux…
La vieille Maison d’Arrêt de La Santé, dernière prison à Paris intra-muros, devenait vraiment décrépie depuis 150 ans qu’elle enferme. Mais jugée bien utile par le pouvoir pour enfermer notamment des prévenus à quelques kilomètres seulement du Tribunal de Grande Instance de l’île de la Cité, et chargée comme ils disent d’une « symbolique particulière » (elle montre en effet à tous les parisiens qu’on s’évertuera à mater ceux qui n’entendent pas respecter les règles), ils ont pensé bon de la remettre en état une bonne fois pour toutes, après avoir été obligés de fermer progressivement des bâtiments en raison de leur délabrement croissant. Un coup de fard sur les murs gris pour que ça reparte pour des années…
Ainsi, 920 prisonniers ont été transférés vers d’autres taules mi-2014 pour permettre une grande rénovation de la prison, dont les travaux ont commencé en décembre 2015 et devraient se terminer en 2018 : une partie des bâtiments (notamment le quartier bas en panoptique) sera rénovée mais conservera son architecture historique, tandis qu’une autre partie sera entièrement reconstruite. Seul le quartier de semi-liberté, comportant 100 places, restera ouvert pendant toute la durée des travaux. Une fois les autres quartiers de nouveaux en fonction, la capacité totale de la Santé devrait être de 800 places, en grande partie en cellules individuelles, que les architectes ont prévu plus grandes qu’avant (tenez vous bien…9m² ! au lieu de 7m² auparavant, quelle bonté).
Bien sûr, cette remise à neuf doit profiter tout autant aux matons, pour leur confort, leur sécurité, puisque les futures infrastructures « faciliteront la surveillance », ce qui n’est évidemment pas bon signe pour les surveillés et leurs marges de manœuvre au quotidien.
Pour les travaux à effectuer, le Ministère de la Justice, par le biais de son mandataire l’APIJ (Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice) a lancé un appel d’offre en 2011 puis a sélectionné architectes, constructeurs et financeurs avec qui a été signé un Partenariat-Public-Privé en novembre 2014 : les entreprises réunies au sein du consortium Quartier Santé seront en charge du financement, de la réhabilitation-reconstruction, puis de l’exploitation-maintenance et des prestations de service associés : restauration, fourniture et entretien du linge, cantine (vente de produits de consommation aux détenus), mise à disposition de véhicules administratifs et pour les transferts, travail pénitentiaire, accueil des familles… tout cela contre un loyer que l’Etat leur versera pendant 25 ans. C’est GTM Bâtiment (filiale du groupe Vinci Construction, des constructeurs de taules chevronnés) qui sera chargé des travaux, Gepsa (filiale de GDF Suez) qui s’occupera ensuite de la maintenance et des prestations de services, tandis que le financement sera apporté principalement (80%) par le grand groupe britannique de capital-investissement 3i, ainsi qu’à 10% par sa filiale Barclays Alma Mater General Partner Ltd. (BAM GP) et 10% par Gepsa, et par un emprunt de 190 millions d’euros à deux banques japonnaises, Mizuho et Bank of Tokyo-Mitsubishi UFJ ainsi qu’à la banque Natixis, filiale du groupe BPCE [Banque populaire & Caisses d’épargne], qui avait déjà participé aux financements des taules de Valence (Drôme) et Riom (Puy-de-Dôme). Côté conception, les architectes s’étant penchés sur le sujet pour dessiner les futurs bâtiments selon les besoins du système pénitentiaire sont ceux des agences Pierre Vurpas & Associés Architectes, AIA Architectes et AIA Studio Paysages. Pierre Vurpas & Associés Architectes ont aussi dessiné le Palais de Justice de Lons-les-Saunier, les EPM (prisons pour mineurs) de Quiévrechain, Meyzieu et Chauconin.
Ces entreprises, en choisissant de travailler pour le Ministère de la Justice, apportent leur pierre à l’édifice du système carcéral, et si certains se croient « humanistes » à réparer des cages et y planter des arbres, collaborer c’est déjà cautionner, et améliorer (les conditions de détention etc) c’est favoriser l’acceptation de ce que nous nous trouvons forcément inacceptable quels qu’en soient les détails de forme : l’enfermement. Alors si ce monde de merde est constitué des pierres de tous ceux qui contribuent à sa perpétuation, détruisons-le et ses prisons pierre par pierre en allant débusquer les responsables de ce système mortifère !
Feu aux prisons et à leurs collabos