Toute jeune âme entend cet appel jour et nuit, et tressaille; car elle pressent la mesure de bonheur qui lui est comme destinée de toute éternité quand elle pense à sa véritable émancipation: bonheur auquel d’aucune manière elle ne parviendra aussi longtemps qu’elle restera dans les chaînes de l’opinion courante et de la peur. Et quelle vie sans espoir et dépourvue de sens peut s’ouvrir sans cette libération !
Pourquoi s’accrocher à telle motte de terre, à tel métier, pourquoi prêter l’oreille aux propos du voisin ?
C’est tellement provincial de jurer obéissance à des conceptions qui, à quelques centaines de lieues d’ici, n’obligent déjà plus. L’Orient et l’Occident sont des traits que quelqu’un dessine à la craie sous nos yeux pour duper notre pusillanimité.
Je vais tenter de parvenir à la liberté, se dit la jeune âme.
Et parce que le hasard veut que deux nations se haïssent et se fassent la guerre, ou qu’une mer sépare deux continents, ou qu’on enseigne alentour une religion qui n’existait pourtant pas il y a quelques milliers d’années, faudra-t-il qu’elle en soit empêchée ?
Tu n’es pas toi-même tout cela, se dit-elle. Personne ne peut bâtir à ta place le pont qu’il te faudra toi-même franchir sur le fleuve de la vie –personne hormis toi. Certes il existe des sentiers, et des ponts et des demi-dieux sans nombre qui s’offriront à te porter de l’autre côté du fleuve, mais seulement au prix de toi-même : tu te mettrais en gage et tu te perdrais. Il n’existe au monde qu’un seul chemin sur lequel nul autre que toi puisse passer.
Où mène-t-il ? Ne le demande pas, suis-le.
Qui donc énonçait ce principe : «On ne s’élève jamais plus haut que lorsqu’on ne sait pas où notre chemin peut encore nous mener ?»